Comme pour tout art, l’IA vient bousculer nos habitudes photographiques ; à outrance ou en subtilité, avec le mensonge et la tromperie… Utile ou dangereuse pour la profession de photographe, l’IA mélange les genres…


Une évolution perpétuelle

La photographie n’a cessé d’évoluer et de se perfectionner. L’imagerie numérique a offert bien plus de possibilités et de souplesse pour maîtriser les couleurs et les contrastes. A grand renforts d’algorithmes les logiciels innovaient, apportant ici et là des fonctions utiles, susceptibles d’assister le photographe. L’augmentation de la dynamique, la technique du HDR… chacun trouvait matière à développer sa créativité, parfois dans l’excès. Et le débat était relancé sur ce qui appartenait encore au domaine photographique. Ce n’était pas nouveau, car ce débat existe depuis l’invention de la photographie. Les techniques complexes s’implantent dans nos appareils photos, dans nos logiciels. Le recours à l’IA cache des secrets jalousement gardés. Son utilisation affole, certains en raffolent, pour le meilleur ou pour le pire ; au point de ne plus différencier le vrai du faux, la photo de l’œuvre numérique. Et c’est bien là le problème, comment différencier la photo d’une œuvre numérique ? Comment l’IA peut-elle s’intégrer dans un processus photographique de création artistique ?

Une profession menacée ?

L’IA est un vrai plus pour le professionnel de l’image qui pourra gagner un temps précieux dans son procédé de retouche. Il pourra remplacer certaines zones de l’image, ajouter des éléments ou générer un contenu supplémentaire. A terme, l’utilisation de l’IA peut remplacer dangereusement un vrai travail de photographe. Plus besoin d’aller sur le terrain pour créer du contenu, il suffira d’une personne travaillant derrière un ordinateur. On imagine la manne pour le tourisme, la publicité et autre domaines réservés aux photographes de studio ou de voyage. Quand à l’amateur équipé d’un simple smartphone, il lui sera simple de créer de superbes images d’un simple clic sur son écran tactile. Que restera-il à certains photographes de mariage, ou plus généralement de « photographie sociale » ?

L’acte photographique

Revenons, un instant, sur l’image photo et la création numérique et ce qui, à mes yeux les différencient. Dans ma vision photographique, je cadre et je déclenche. Je capture donc un instant, Un fragment du monde réel avec sa lumière dans le but d’en traduire une image. Je suis le seul décideur et le créateur de ce que j’inscris dans le cadre. Mon intention est authentique, réfléchie et elle résulte d’une conscience. Pour citer le maître Henri Cartier Bresson :

 » Photographier, c’est mettre dans la même ligne de mire la tête, l’œil et le cœur. « 

Libre au photographe de faire évoluer mon image pour lui donner toute son expressivité ou pour développer un univers autour de cette vision. A contrario, la création purement numérique ne naît pas de l’instant présent et elle n’est pas « capturée ». L’utilisation de l’IA générative fait appel à des ressources externes dont je ne ne peux me prétendre être l’auteur ou le créateur. Je me souviens d’un débat ancien, du temps de l’argentique, sur le photomontage et de la création d’un œuvre dérivée. Que restait-il des droits d’auteurs si on utilisait des images d’autres photographes ? Il fallait que l’oeuvre présente une certaine originalité pour devenir sa propre création. Est-ce que le photo-monteur était un photographe, dès lors qu’il n’utilisait pas ses propres clichés ?

A mon sens, beaucoup d’auteurs se sentent décontenancés par l’IA en raison du manque d’appartenance et de transparence. A cela s’ajoute que sur les réseaux sociaux, certaines personnes veulent nous faire prendre des vessies pour des lanternes pour nous faire croire à des scène chimériques. A qui inventera un brame de cerf au sommet d’une montagne, l’aurore boréale incroyable, la fleur à tête de singe ou autre énormité. On ira même jusqu’à créer des personnages virtuels plus vrais que nature car l’IA « générative » ne s’arrête pas seulement à la photographie, elle touche presque tous les domaines visuels et sonores.

Si « les arts visuels sont les arts qui produisent des objets perçus essentiellement par l’œil » (Wikipédia), « la photographie est une technique permettant de fixer une image sur une surface sensible à l’aide de la lumière et des objets qui la reflètent. » (Portail photo Wikipédia). La prise de vue quant à elle suppose la présence d’un dispositif optique et d’un support photosensible (argentique ou numérique).

Oui mais voilà, nous vivons une époque où l’IA s’implante partout, y compris dans nos appareils de prise de vue. Qui dira que demain, le choix de l’ouverture sera le seul moyen de contrôler le flou de profondeur de champ ?

Vous souvenez-vous de la mention obligatoire «photographie retouchée» imposée, par décret, depuis 2017 sur les photos commerciales présentant un mannequin dès lors que son apparence corporelle a été modifiée ? Partant du principe que faire rêver les jeunes à une beauté inaccessible pouvait être dangereux pour leur santé.

Faudra-il spécifier « Véritable photo » sur nos clichés… Et qu’est-ce qu’un véritable cliché au fait ? J’oubliais déjà que mon boîtier enregistre des photos avant même qu je porte l’œil au viseur et que logiciel de retouche préféré est dopé à l’IA pour plein de fonctions d’amélioration de l’image.

Et il en faut moins que ça pour relancer le débat sur ce qui est acceptable ou non.

Si photographier se résumait à « écrire avec la lumière », la photographie a bien évolué vers un mode d’expression bien plus élargi. Chacun y trouvera certainement le plaisir ou les moyens créatifs adaptés pour s’exprimer.

La frontière est ténue (et peut-être inconnue) entre la photographique et « la photographie augmentée ». Le mélange des genres dans les arts visuels sera de plus en plus ambigu, suspect ou simplement sublime, et au final inclassable. C’est peut être à chaque photographe de défendre sa vision, d’expliquer son projet et surtout d’être honnête sur le procédé !

Bon je vous laisse, j’ai vu un petit rayon de soleil éclairer un bout de mon jardin… je vais aller titiller le déclencheur !